Devant la presse ce mardi 12 décembre lors de la cérémonie d’échanges de vœux de cette corporation, le ministre de la communication et médias dresse un bilan sombre de la presse Congolaise.
Pour Jolinho MAKELELE, le manque de moyens est à la base des dérives indescriptibles et à de nombreux dysfonctionnements dont souffre la presse congolaise aujourd’hui. De ces conditions difficiles dans lesquelles travaillent les journalistes, sont nées des pratiques peu recommandables qui jettent un discrédit sur la profession toute entière. Il s’agit bel et bien du phénomène « coupage ».
Et même déplore le ministre, la jeune presse qui s’est voulue différente au départ est retombée dans les mêmes travers. Cette dernière excelle aujourd’hui dans la mise en scène des acteurs politiques, dans la complaisance dans le traitement des informations et la falsification des faits censés être sacrés. Ce qui n’est pas sans conséquence sur l’opinion, car comme le disait Alfred Sauvy : « Bien informés les hommes sont des citoyens, mal informés, ils deviennent des sujets ».
Ci-dessous, l’intégralité du discours du ministre de la communication et médias, à l’occasion de la cérémonie de présentation des vœux à la presse.
Honorable,
Monsieur le président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication,
Monsieur le président de l’Association Nationale des Editeurs des journaux,
Mesdames et messieurs,
Distingués invités, en vos titres et qualités
Permettez-moi avant toutes choses de vous dire combien je suis honoré d’être parmi vous, valeureux chevaliers de la plume de notre pays, à l’occasion de cette cérémonie d’installation du comité directeur de l’Association Nationale des Editeurs des Journaux de la République Démocratique du Congo. Je voudrais tout particulièrement ici remercier les organisateurs pour cette belle initiative.
Mon propos va essentiellement s’articuler autour de la presse telle que nous la connaissons aujourd’hui et la nécessité de son développement, mieux de sa refondation qui fait appel, de mon point de vue, à l’implication de tous, dirigeants politiques, patrons d’entreprises de presse, éditorialistes, reporters et autres.
Jetant un petit regard rétrospectif sur le chemin parcouru par notre presse, tout particulièrement celle écrite, je relève qu’au lendemain des années sombres de la dictature, nous avons assisté à une explosion du nombre de journaux, suscitant ainsi beaucoup d’espoir dans le secteur. Mais, en quelques années seulement, la réalité nous a rattrapés. Le boom médiatique constaté n’a pas apporté une santé financière pour la presse. En conséquence : sur les centaines de titres ayant vu le jour, une dizaine seulement paraissent régulièrement, et ce avec un tirage généralement faible.
La majorité des journaux nés dans les années 1990 ont disparu, faute de capitaux. Publier un journal devient du coup un exploit, le coût de production étant élevé, le manque d’intrants et les difficultés de distribution et de commercialisation produisant des conséquences dévastatrices sur les entreprises de presse.
Entre-temps, devant l’absence des subventions et la faiblesse de son modèle économique, la presse est devenue partisane et financièrement dépendante du monde politique. Jusqu’à un passé récent, n’a-t-on pas constaté que seuls les journaux proches du régime au pouvoir bénéficiaient du soutien financier des entreprises publiques ?
Le manque de moyens est donc à la base des dérives indescriptibles et à de nombreux dysfonctionnements dont souffre la presse congolaise aujourd’hui. De ces conditions difficiles dans lesquelles travaillent les journalistes, sont nées des pratiques peu recommandables qui jettent un discrédit sur la profession toute entière. Je voudrais dénoncer ici le fameux phénomène dit« coupage ».
Et même la jeune presse qui s’est voulue différente au départ est retombée dans les mêmes travers. Cette dernière excelle aujourd’hui dans la mise en scène des acteurs politiques, dans la complaisance dans le traitement des informations et la falsification des faits censés être sacrés. Ce qui n’est pas sans conséquence sur l’opinion, car comme le disait Alfred Sauvy : « Bien informés les hommes sont des citoyens, mal informés, ils deviennent des sujets ».
Voilà pourquoi, Son Excellence Monsieur le Président de la République, Félix-Antoine TSHISEKEDI TSHILOMBO, ne cesse d’en appeler à une presse comme véritable quatrième pouvoir. L’expression « quatrième pouvoir » (inventée par Edmund Burke et reprise par Honoré de Balzac) pour désigner la presse montre toute son importance dans un pays.
Aujourd’hui, son évocation amène à considérer non seulement l’indépendance et la liberté de la presse, mais également la mutation que subitcette dernière. La presse était traditionnellement écrite, le nom même de « presse » renvoie aux procédés d’impression de l’écrit. Cependant, une nouvelle forme s’est développée en même temps que l’expansion du numérique et la globalisation des échanges : l’écrit n’est plus seulement imprimé mais aussi posé sur des écrans, ce qui interroge la viabilité de la presse imprimée traditionnelle.
En effet, si la presse classique connaissait déjà des difficultés conjoncturelles, l’irruption des technologies numériques vient bouleverser non seulement le modèle économique des médias traditionnels, mais aussi leurs modes d’organisation, leurs structures voire leurs contenus. Tous les médias sont touchés, la presse écrite au premier chef, mais aussi les agences de presse, les chaines de télévision et les radios.
L’arrivée tonitruante de cette presse numérique accentue les difficultés de la presse classique, faisant ainsi chuter davantage les ventes du journal papier. La presse numérique avec ses nouvelles techniques apportent des facteurs nouveaux dans le secteur de l’information faisant de l’ombre à la presse écrite. On peut citer entre autres :
- Au plan éditorial, le développement d’une culture de l’instantané, de l’échange libre d’opinions sans hiérarchies préconçues ni références préétablies
- Au plan commercial, l’accès gratuit aux informations, images et œuvres de l’esprit fait qu’aujourd’hui la publicité migre sur internet. Plus le public touché par le support est important, plus les annonceurs sont attirés par ce support. Ce qui porte gravement atteinte au modèle économique traditionnel de la presse, qui fait de l’information une marchandise qui se conforme aux conditions de production ;
- Au plan financier, le coût est insignifiant comparativement au coût de production et de distribution du journal papier ;
- Au niveau des acteurs, de nouveaux types de producteurs et diffuseurs de l’information sont nés, dont certains sont spécialisés dans la manipulation et production de fake news.
Pour la presse écrite, il s’agit aujourd’hui de reconquérir une grande partie du lectorat perdu, en misant notamment sur la qualité. J’ai beaucoup de respect pour le travail que vous réalisez dans des conditions parfois très difficiles, mais il faut reconnaître que nous avons tourné le dos à la qualité. Ne dit-on pas : « Labor omnia vincitim probus » : un travail consciencieux arrive à bout de tout.
Car, ce n’est pas tant l’abondance ou l’accès aisé aux informations qui importent, mais plutôt la qualité de ces dernières.
Comment donc arriver à sortir de cette situation ? Il faut se réinventer en faisant face à la concurrence. Oui, il faut réfléchir sur les modèles de relancement, de repositionnement, voire de reconversion. Ailleurs, la plupart des groupes de presse ont réagi en investissant, à des degrés variables, sur le développement des nouveaux supports numériques.
Chez nous, j’en appelle de tous mes vœux à la tenue des Etats généraux de la presse pour examiner ensemble toutes ces questions qui touchent à la fois :
- à la refondation de notre presse,
- à l’état de la législation par rapport aux mutations observées,
- aux subventions ou autres facilités à accorder à la presse,
- à la sécurité des journalistes et des entreprises de presse
Ces Etats généraux ne sont pas un slogan, moins encore un forum de plus. Il s’agit plutôt d’une réflexion générale qui s’impose à nous tous, pouvoirs publics, professionnels des médias, acteurs politiques, universitaires et autres experts. Ils doivent se tenir si nous voulons sortir notre presse de sa torpeur en apportant des réformes nécessaires.
Dès lors, me tournant enfin vers le nouveau comité de l’ANECO, je voudrais vous rappeler que vous prenez la direction de l’association à un moment crucial, celui de la mutation technologique. Je vous invite donc à prendre la mesure du défi qui vous attend en vue de redonner à notre presse ses lettres de noblesse en tant que premier moyen de communication publique. Pleins succès et fructueux mandat à toute l’équipe.
Je vous remercie.
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